Interview | Les monstres de Hubert Griffe

quand les ténèbres vous regardent

Il est des univers artistique qui vous marquent, dont la rétine se souvient pendant des jours tant les concepts et idées sont forts. Ce n’est pas un secret, j’ai un attrait tout particulier pour l’horreur, l’étrange et les mystères, aussi lorsque je suis tombé sur le travail de Hubert Griffe pour la première fois, ce fut tout de suite le coup de coeur. Son style graphique est assez unique, mélangeant avec brio ses influences. Il travaille aussi bien sur des couvertures de livres que sur du character design, et c’est avec une immense joie que nous vous proposons cette interview à laquelle il a bien voulu participer. Éteignez les lumières et plongez avec nous dans le monde étrange de Hubert Griffe.

 

Les Réseaux de Hubert Griffe

Portfolio | Instagram | Twitter | Patreon

1/ Bonjour Hubert. Peux-tu nous parler un peu de toi, ton parcours et de ce qui t’as poussé à choisir l’art comme carrière ?

Salut ! Je m’appelle Hubert, j’ai 33 ans et je vis et travaille a Paris. Depuis que je suis petit, 4 ou 5 ans, j’ai toujours voulu dessiner des monstres. Mes parents n’y croyaient pas vraiment et m’ont poussé vers une voie plus classique en allant dans le design graphique. Je suis rentré aux Art Déco de Paris (ensad) en design et j’ai travaillé un moment dans ce milieu, jusqu’à avoir un déclic il y a 6 ans.

Je n’étais pas très heureux dans cette branche mais j’avais toujours continué de dessiner en parallèle. Un ami m’a conseillé de commencer à montrer mes dessins, ce que j’ai fait en ouvrant un compte Twitter et Instagram. Ensuite c‘est allé assez vite, car j’ai d’abord travaillé avec Third Éditions sur les couvertures de l’édition collector de Dark Souls et l’édition First Print de Castlevania. J’ai ensuite été approché par Netflix dans le cadre de la série Marianne pour faire le character design des monstres principaux: Marianne et Beleth. Et enfin sur divers projets pour les éditions Bragelonne et Mnémos (Anthologie de HP Lovecraft).

2/ Comment s’est passée ta collaboration avec Netflix pour créer le personnage de Marianne ?

Comme je le disais, Netflix m’a approché avec le pitch de la série Marianne, une histoire autour d’une sorcière en Bretagne sur fond de meurtres et de disparitions . On m’a envoyé le script de toutes des scènes qui contenaient Marianne ainsi qu’un moodboard de 40 pages et d’autres idées visuels, notamment des références venant directement du réalisateur, des gravures et des références à Stephen King.

L’équipe créative m’a expliqué qu’ils voulaient une sorcière un peu à l’ancienne, comme ce qu’on imagine dans Hansel et Gretel, un peu ogresse, terrifiante, vieille et tordue etc… Je devais aussi concevoir Beleth, le démon avec qui a pactisé la sorcière. L’idée était de faire des créature effroyables, mais avec une inspiration un peu pop,  avec un brin d’esprit train fantôme.

Je pense que les designs complet de Marianne et Beleth ont dû prendre 1 mois, notamment avec beaucoup d’échanges avec la production. Finalement, on est passé d’un design proche de ce qu’on trouverait dans du Stephen King, peut-être un peu trop dérangeant pour Netflix, à une version orientale, inspirés de certains Yokai japonais.

3/ Comment te décrirais-tu en tant qu’artiste ? Quelle est ta philosophie sur l’art ?

J’aime à croire que je suis un explorateur de mondes, et se faisant, j’aborde une démarche de naturaliste, presque scientifique sur les monstres que je représente. Pour moi, mes créatures doivent être cohérentes, aussi bien d’un point de vue historique que anatomique. Concernant mes monstres, j’essaie de ne jamais tomber dans le manichéisme, avec des créatures soit très sombres et malfaisantes soit des êtres tout colorés et mignons. Je garde une ambiguïté de manière générale parce que j’aime qu’ils soient tout aussi terrifiants que poétique. Je garde une approche sensible dans mes designs, m’inspirant du romantisme noir ou du symbolisme, en évitant le gore et l’épouvante pure.

4/ Tu travailles sur différentes formes de médium, pour faire des illustrations, des couvertures de livres et du character design. Et pourtant, cela donne l’impression que toutes tes créations font partie du même univers. Est-ce que c’est voulu de ta part ?

Au début, cela se faisait tout seul, et ce n’est que récemment que je l’ai conscientisé. Comme je l’ai dit, je suis un maniaque de la cohérence anatomique et historique et je veux que cela se voit dans mes créations. Mon processus créatif crée cette cohérence graphique car je travaille souvent de la même manière : je commence surtout sur papier (au crayon, ou à l’aquarelle) avant de scanner le tout et de faire les finitions digitales .

C’est tout ce processus qui donne une cohérence graphique à l’ensemble de mes créations. Et cela fait maintenant 28-29 ans que je suis au milieu de ces univers-là, cela a laissé le temps à mon imaginaire d’infuser et maintenant un prisme se met en place, donnant une similitude en termes d’univers partagé entre toutes mes créations. Je pense que c’est la force de certains concepts artistes, de parvenir à développer des univers qui leur sont propres, à l’image de Adrian Smith ou de Karl Kopinski, qui ont été de grandes inspirations.

5/ Une de tes dernières actualités est la sortie de l’édition intégrale prestige de Lovecraft chez les éditions Mnémos sur laquelle tu as pu travaillé. Peux-tu nous en dire plus sur ces illustrations et comment tu as travaillé pour représenter les mondes indicibles de Lovecraft ?

J’ai été approché par Frédéric Weil, directeur de publication des éditions Mnémos durant l’été 2020. Il connaissait déjà mon travail et trouvait cela naturel de faire appel à moi pour un projet éditorial autour de HP Lovecraft.

J’ai ainsi pu faire une quinzaine d’illustrations pour les lettrines des livres. Les représentations ici étaient assez littérales et je me suis inspiré des grands thèmes et nouvelles de HP Lovecraft pour les mettre en image. Pour les illustrations de l’Affaire Charles Dexter Ward, j’ai eu une vraie carte blanche pour réaliser mes cinq illustrations. Contrairement aux lettrines, ces créations étaient en couleur et en pleines pages et mon idée était de ne pas rentrer dans du descriptif au sens propre mais d’aller vers le symbolisme du récit.

Je voulais partir à contrepied de ce qu’il se fait habituellement sur Lovecraft avec des tentacules partout et j’ai choisi un côté plus psychédélique avec pas mal de collage avec des morceaux de l’espace, de la peinture et de la couleur. J’ai tenté de marier le sombre et le très coloré en même temps, de raconter sans rien dire, de laisser la part belle à l’interprétation en me concentrant sur les silhouettes et l’ambiance globale. Cela permet d’avoir beaucoup d’interprétation possible sur les images et d’avoir des ambiance de l’Affaire Charles Dexter Ward. J’ai découvert l’univers de Lovecraft avec Le Festival et Dagon et en 10 lignes tu tombes dedans, tu as déjà la tête sous l’eau, tu planes complètement. Chez lui, tout est une histoire d’ambiance.

6/ Quel serait le projet de tes rêves ?

En terme de projet personnel, j’aimerais me lancer dans une encyclopédie des Yokais japonais prochainement. Ensuite en ce qui concerne les licences, j’adorais travailler pour les studios qui m’ont fait vibrer étant plus jeune : Games workshop avec Warhammer/40k bien sur et également faire au moins 1 carte pour Magic The Gathering. Pourquoi pas aussi bosser pour From Software, malgré les aléas d’une production de cette taille, cela resterait plus qu’enrichissant de pouvoir travailler sur l’un de leurs projets. Et de façon générale, je suis toujours ouvert tant que le projet est intéressant et motivant !

7/ Quels sont les artistes qui m’inspirent le plus ?

En ce qui me concerne, c’est un mélange d’artistes classiques et modernes qui m’inspirent. Je baigne aussi bien dans le symbolisme, l’art nouveau et les estampes japonaises du XIXe siècles, que dans Warhammer, Karl Kopinski, Adrian Smith, HR Giger ou encore Zdzisław Beksiński.

En nom plus classique il y a bien sûr Rembrandt et Turner, et pour la touche française Ledroit et Druillet qui m’ont définitivement marqué. Les préraphaélites, symbolistes et graveurs du siècle dernier ont également eu un impact majeur dans mes inspirations (Durer, Dulac, Clarke etc)

Mais je pense que le plus important est de ne pas être trop influencé par tous ces artistes. Je vois ça vraiment comme un système d’ingestion et digestion de ces influences pour régurgiter à ta sauce avec ta sensibilité, ton influence et ta technique. Tout le monde a des techniques différentes, ton travail doit se dissocier du reste, représenter la synthèse de tout ce que tu aimes toi personnellement.

8/ Quels sont tes projets en cours… Et les projets futurs ?

En ce qui concerne les projets en cours je vais réaliser des illustrations pour le Livre dont vous êtes le héros du projet Astra Mortem de Alt 236, Mehdi Chamsa et Sullivan Rouaud. Ca avance doucement mais c’est un vrai plaisir, les Livres dont vous êtes le héros ont été une grande influence pour moi et pouvoir travailler sur un projet comme ça est un vrai régal.

J’ai également deux couvertures de livres pour 2022 et un projet de character design pour le grand écran, mais je ne peux pas en dire plus pour l’instant !

En bref:

Ton film préféré ?

Fantasia et surtout la scène de fin avec La nuit sur le mont chauve. Cela a été un de mes premiers gros chocs esthétiques je pense. Je peux aussi parler de Taram et le chaudron magique ou encore de Brisby, mais de manière générale, je ne suis pas trop film ou série où construction de la narration ne me plait pas toujours. J’y préfère les livres et jeux vidéos, là où un film va souvent être un moment de 2h pour raconter des histoires bien plus longues.

Ton livre préféré ?

Ça peut paraître cliché, mais toute l’oeuvre de Lovecraft aurait sa place pour cette question. Je pense aussi à Bazaar de Stephen King et le cycle d’Elric de Moorcock. Je lis également beaucoup de poésie et particulièrement celle de Rimbaud.

Ton comics/bd/manga préféré ?

Les Chroniques de la lune Noire. J’ai découvert le tome 3 à 7-8 ans mais ma mère ne voulait pas me l’acheter parce qu’il y avait une succube relativement explicite sur la couverture, alors que ce qui m’intéressait c’était voir les autres dessins incroyables de Ledroit.a l’intérieur

Ton jeu vidéo préféré?

Bloodborne, Demon’s Soul et Dark Souls j’aurai tendance a dire. mais quand même plus Bloodborne pour son univers, sa prise de risque et sa narration. Et en termes de jeux un peu plus vieux, Demon’s Crest sur Super Nes. En dehors des jeux vidéos je joue pas mal aux JDR sur table, carte magic, Warhammer tabletop etc. 

Les Réseaux de Hubert Griffe

Portfolio | Instagram | Twitter | Patreon