Interview | L’univers Surréaliste de Mélissa Houpert

Inquiétante étrangeté

J’ai découvert le travail de Mélissa Houpert via son portfolio, et notamment avec la couverture de l’album de Alt 236 qu’elle avait réalisé. C’est ensuite que je me suis penché sur son univers et ses créations si particulière, entre surréalisme, étrange et horreur. Ici, rien n’est fait pour faire peur, nous sommes face à des créations et un style tout aussi moderne que classique par moment. C’est fasciné par toutes ses créations que j’ai eu la chance de pouvoir lui poser quelques questions et revenir avec elle sur son style, ses inspirations et ses projets.

1/ Bonjour Mélissa. Peux-tu nous parler un peu de toi, ton parcours et de ce qui t’as poussé à choisir l’art comme carrière ?

Bonjour ! Je m’appelle Mélissa, j’ai 31 ans et j’habite du côté de Strasbourg. En ce qui concerne mon parcours, je ne suis jamais allé en école d’art plus jeune. J’ai eu un Master en lettres modernes mais arrivée à 26 ans, je ne me voyais pas vraiment devenir prof.

C’est à ce moment que j’ai décidé de me lancer dans le dessin. Déjà adolescente, j’adorais dessiner des personnages de mangas, que j’échangeais aux récréations. Mais malgré ma passion, je n’ai jamais vraiment été encouragée dans cette voie artistique. J’entendais souvent le même refrain : “c’est compliqué de faire carrière dans l’art”.

Donc à mes 26 ans, je me suis remis en question et je me suis dis que quitte à vivre dans un monde fucked up, autant tenter quelque chose avant mes 30 ans. Ca a été une des meilleures décisions de ma vie. Je me suis fixé 30 ans comme limite, juste pour la forme, et je me suis tout de suite inscrit à la Digital Painting School pour vraiment apprendre le dessin. 

2/ On peut sentir beaucoup d’inspirations variées dans ton travail : le surréalisme, la littérature fantastique, le tarot…Peux-tu nous en dire plus sur tes influences et tes inspirations ?

Je pense que j’ai pris mes plus grosses claques artistes avec Francis Bacon et Zdzisław Beksiński. En parcourant leurs œuvres, j’ai compris comment on pouvait exprimer des émotions à travers des œuvres d’arts. Cela m’a vraiment marqué et touché en tant qu’artiste. Ce sentiment que je cherche maintenant à reproduire et c’est ce qui me motive à continuer de dessiner : l’impact que certains visuels peuvent avoir sur nous. 

Et de manière plus générale, je trouve de l’inspiration avec les artistes qui marquent nos imaginaires. J’aime beaucoup d’artistes d’Europe de l’Est, qui ont vraiment une manière unique de créer et une technique qui me parle énormément. Je pense par exemple aux créations de Wieslaw Walkuski ou Piotr Jabłoński que j’adore tout particulièrement. 

En termes d’inspiration plus classique, j’ai été marqué par Gustav Klimt et aussi par le courant romantique de manière générale, surtout par Caspar David Friedrich, avec cette façon bien particulière de représenter des paysages.

Je trouve aussi beaucoup d’inspiration dans la sculpture comme chez Nicolas Sarmoni (ses peintures sont tout autant sublimes), mais aussi dans la danse qui me passionne.

3/ Comment te décrirais-tu en tant qu’artiste ? Quelle est ta philosophie sur l’art ?

C’est une question un peu compliquée à aborder. Je dirais que je suis en quelque sorte une passeuse d’imaginaire. Je vois l’Art comme une manière de nous exprimer. Bien sûr, la technique est importante mais cela reste un moyen parmi d’autres d’y parvenir. 

L’Art est une autre forme de langage, qui permet en tant qu’humain d’exprimer certaines émotions, une autre façon de se connecter en tant qu’êtres vivants. Je dirais que c’est une forme de fragilité et sensibilité commune, qui ne nécessite aucun mot pour être ressenti. 

4/ Tu travailles en ce moment sur des illustrations inspirées du tarot. Peux-tu nous en dire un peu plus à ce sujet ?

Bien sûr. Le projet global est de réaliser les 22 arcanes majeures du Tarot. En ce moment, j’arrive à créer une carte par mois environ, donc je pense que le projet sera fini quelque part entre fin 2022 et début 2023. 

C’est un projet qui me tient à cœur pour ce que le Tarot représente dans son ensemble. J’ai toujours été fasciné par son imagerie et tous les symboles que les arcanes contiennent. Je tire moi-même les cartes depuis quelques années maintenant et je trouve que c’est un très bon outil pour entrer en introspection. C’est un exercice vraiment enrichissant, plein de symboles et d’interprétations, ce qui est d’après moi l’essence même de ces cartes.

D’un point de vue artistique, ce qui m’intéresse c’est de représenter certains concepts qui sont abstraits, de comprendre comment transmettre des symboles tout en restant compréhensible. 

5/ Tes œuvres sont tout aussi sombres que oniriques, et semblent toutes faire partie d’une même dimension, d’un même univers. Est-ce voulu de ta part  ?

C’est une bonne question. Je pense que ce n’est pas forcément le cas, c’est la manière dont je veux communiquer les choses. Par exemple, je ne fais pas de visage figuratif parce que je n’aime pas les dessiner mais parce que je trouve qu’un visage ajoute tout de suite une identité, un poids sur le personnage. J’ai envie parfois de simplement représenter un corps qui parle sans imposer le jugement qu’un visage peut apporter. J’ai conscience que c’est une démarche totalement volontaire de ma part. 

Plus que d’être dans un même univers, c’est plutôt comme ça que je m’exprime. J’aime représenter des paysages désolés, de grands espaces, des portails, des miroirs, la mer… Tous ces éléments m’inspirent et c’est pour cela que je les représente souvent. 

6/ Quel serait le projet de tes rêves ?

J’ai déjà l’impression d’avoir eu la chance d’avoir pu réaliser certains de mes rêves. Mais si je devais choisir, j’aimerais bien bosser pour Magic the Gathering, de pouvoir créer des cartes. 

Le deuxième serait de travailler un temps pour Arkhane Studios, qui sont derrière les jeux Bioshock et Dishonored. Les deux univers m’ont marqué par leur style graphique. Mais je me sens déjà très épanouie dans ce que je fais !

7/ Technique ?

J’utilise aussi bien les techniques traditionnelles que digitales. Je commence très souvent une nouvelle illustration avec un croquis sur mon bloc note avec un crayon. Le gros de mon process se fait ensuite en digital. Je commence d’abord avec des valeurs de gris pour donner le mood général de l’illustration. Je rajoute ensuite les couleurs et c’est probablement la partie la plus longue de mon processus. J’aime particulièrement ajouter des couleurs riches par exemple et j’essaie de réfléchir au maximum à comment poser des coups de brushs. 

8/ Quelle est ton œuvre favorite dans ton portfolio et pourquoi elle résonne autant en toi ?

C’est une de mes créations récentes, Le diable de mon tarot. Il réunit tout ce que j’aime et dégage une certaine mélancolie qui me correspond bien. La palette me parle ainsi que la pose du personnage. Oui, elle rassemble vraiment tous les éléments qui me plaisent.

9/ Quels sont tes projets en cours… Et les projets futurs ?

Je ne peux pas vraiment en parler mais oui, plusieurs projets seront annoncés bientôt !

10/ Quels conseils donnerais-tu à des talents voulant se lancer dans une carrière artistique ? 

C’est une question intéressante. Je dirais à quelqu’un qui se lance dans une carrière artistique plusieurs choses. Avoir un but est important, est ce qu’on veut travailler pour un jeuvidéo ? Faire de l’illustration ? Ça peut parfois prendre du temps de trouver ce but. Mais je ne sais pas si c’est le plus important.

Je crois que prendre le temps d’apprécier le chemin donne plus de valeurs à ce que nous vivons. C’est comme faire une randonnée en ne pensant qu’au moment où on aura atteint la fin. Est ce que c’est vraiment ce qui lui donnera de l’importance ? Alors que les personnes que nous rencontrerons, les victoires que nous vivons pendant la randonnée sont au final bien plus importantes que son terminus à mon sens. Et puis il y aura beaucoup de randonnées, avec des buts différents. Là où je veux en venir, c’est que la carrière artistique est la plupart du temps solitaire, mais être bien entouré rend le voyage bien plus intéressant, à mon sens. Le but final peut varier au fur et à mesure de notre apprentissage, apprentissage qui continue tout au long de notre carrière artistique, nous sommes juste tous à des points différents et c’est ça qui est exhaletant.

Pour finir je dirais aux gens de se lancer à fond dans leur passion et leur envie de carrière artistique, de rester curieux et curieuses à tout ce qui les entourent et de prendre soin d’eux autant que possible, parce que le chemin est long et qu’il ressemble plus à un marathon qu’à un sprint.

En bref:

Ton film préféré ?

L’echelle de Jacob pour son esthétique complètement folle qui a été un coup de coeur dès le premier visionnage.

Ton livre préféré ?

“La Flamme chantante” de Clark Ashton Smith. C’était un ami de HP Lovecraft et ce livre m’a vraiment marqué pour son côté contemplatif. Les descriptions y sont vraiment incroyables, poétiques et contemplatives, donnant l’impression de plonger dans un tableau. 

Ton comics/bd/manga préféré ?

“Blame!” de Tsutomo Nihei. C’est fou de construire une histoire pas si compliqué avec si peu de dialogue et se faire porter par des architectures ausssi folles. Ça a été une vraie claque artistique. 

Ton jeu vidéo préféré?

Silent Hill 2 pour son atmosphère toujours sur la limite entre le rêve et la réalité et ses créatures cauchemardesques.

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