D’aussi loin que je me souvienne, c’est de ma passion pour les cultures de l’imaginaire que me vient celle de l’illustration et du graphisme. Ce sont mes premières parties de jeux de rôle qui m’ont fait découvrir l’art de la fantasy, du cyberpunk, de la science-fiction, du steampunk… Ce sont mes premières parties de Magic l’Assemblée qui m’ont fait découvrir le travail de certains artistes qui me tiennent encore à cœur aujourd’hui. Ce sont les illustrateurs des jeux Games Workshop (Warhammer Battle, Warhammer 40,000, Necromunda…) qui ont contribué à mon amour pour ces licences et ces univers si riches et si sombres. Ce sont les illustrations des Livres Dont Vous Êtes le Héros qui ont fait naître en moi les premiers frissons du médiéval fantastique à la fin des années 80…
Dans cette série d’articles à destination de Geek-Art +, la newsletter payante de Geek-Art, je vous ferai découvrir ou redécouvrir ces femmes et ces hommes qui ont su donner vie aux univers de fantasy et de science-fiction qui nous ont tant marqués. Qu’il s’agisse de licences comme Magic, Warhammer ou Donjons et Dragons, de livres ou de films cultes, ces artistes ont su photographier ces univers pour les imprimer à tout jamais dans l’imaginaire collectif des amateurs de culture de l’imaginaire. Madeleines de Proust pour les vieux briscards de la pop culture comme moi, ces artistes méritent d’être mis en avant encore aujourd’hui. Dans ces articles, je vous présenterai ceux qui m’ont particulièrement marqué. Et il y en a beaucoup ! Bienvenue dans Les Archives des Fondateurs cette nouvelle série Geek-Art + dédiée aux Grands Maîtres de l’illustration fantastique.!
Brom : Soleil Noir & Terres Mortes
Mon premier rendez-vous avec Brom s'est fait en découvrant les univers de Donjons & Dragons, dans une autre vie, au milieu des années quatre vingt dix. A l’époque, je commençais tout juste à me plonger dans le jeu de rôle, et notamment le jeu phare de Gary Gigax. Pour ceux qui ne connaissent pas bien, il faut savoir que D&D, c’est tout d’abord un ensemble de règles pour jouer dans n’importe quel univers médiéval fantastique sorti de votre imagination. Mais TSR, l’éditeur de l’époque, avait également sorti de nombreux suppléments afin de proposer aux joueurs de jouer dans des mondes “pré-construits” et très élaborés. Il y en avait pour tous les goûts. Les Royaumes Oubliés étaient le setting de base, devenu culte, une Terre du Milieu à la sauce D&D. Dragonlance s’inscrivait également dans cette lignée. Ravenloft était un monde inspiré par l’horreur gothique, Planescape permettait de voyager de dimensions en dimensions, Spelljammer introduisait la SF dans le médiéval fantastique… On peut citer également le monde inspiré du Japon Médiéval de Oriental Adventures, Al Qadim, inspiré par les Mille et une Nuits, et enfin, l’univers qui nous intéresse dans le cas de Brom : Dark Sun.
Dark Sun, c’est un peu le mélange entre Mad Max et la fantasy. Un monde désertique, violent, dont la nature a été éradiquée lors d’un cataclysme provoqué par les mages. Dans ces déserts et ces mers de sable sont érigées des cités Etats, gouvernées par des Rois Sorciers. Les métaux sont rares, les sorciers détestés, et les combats de gladiateurs sont les seules sources de divertissement pour les populations asservies. Je n’ai personnellement, à mon grand regret, jamais joué dans cet univers. Il est pourtant particulièrement installé dans mes souvenirs et dans mon inconscient d’amateur de mondes imaginaires. La raison ? La quasi totalité des illustrations dépeignant ce monde exotique et sombre ont été créées par Brom.
Gerald Brom est un illustrateur américain. Né en 1965, il passe son enfance à suivre son père, militaire, dans ses différentes affectations à travers le monde, notamment au Japon et en Allemagne. C’est d’ailleurs la tradition militaire qui le fera mettre en avant son nom sans son prénom en tant qu’artiste (une habitude chez les militaires : on vous appelle “Brom” plus que “Gerald” !). Il passe littéralement toute son enfance à dessiner, et ne se sépare jamais de son carnet de croquis. Une habitude qui le lance dans des études artistiques, et si le jeune Brom débute sa carrière à Atlanta dans l’illustration commerciale (publicitaires notamment), sa passion pour le fantastique et les mondes de l’imaginaire, qui aura été un fil conducteur durant toute son adolescence, ne le quitte pas pour autant.
C’est d’ailleurs pour son univers unique que TSR, la maison d’édition d’origine de Donjons & Dragons, va l’embaucher en 1989. Notamment, donc, pour le lancement de son extension Dark Sun, en 1991. Un univers ultra original qui sort des standards de l’heroic fantasy qui fait fureur à l’époque. Brom est particulièrement impliqué dans le processus créatif de ce monde chez TSR.
“J'ai quasiment conçu l'aspect et l'atmosphère de l’univers de Dark Sun”, dira-t-il. ”Je travaillais sur des illustrations avant même que les scénaristes et concepteurs n’écrivent sur tel ou tel endroit, tel ou tel personnage. Je peignais un décor ou dessinais un croquis, et ils intégraient ces idées et ces personnages dans l'histoire.”
Fait relativement rare, c’est ici le concept art qui inspire l’univers, et non le contraire ! Le style visuel de Brom, qui avoue être très inspiré par la technique classique du peintre américain légendaire Norman Rockwell, livre ainsi une vision sans concession d’Athas, le monde de Dark Sun. Créatures et personnages ambivalents, à la fois mutants et gladiateurs, monstres fantastiques, ambiance digne d’un Mad Max… Dark Sun doit principalement son succès à la manière dont Brom le visualise : une première pour un jeu de rôle !
C’est d’ailleurs dans cette industrie qu’il fera principalement ses armes. Après le jeu de cartes co-créé par Brom lui-même, Dark Age, je le retrouve quelques années plus tard en tant que joueur dans le génial Deadlands, le jeu de rôle de Western Spaghetti-horreur publié par Pinnacle en 1996. Là encore, la patte de Brom donne le ton de ce jeu culte mêlant les classiques du genre Western avec l’horreur cosmique de Cthulhu et de X-Files, agrémenté d’une bonne dose d’humour.
Je pourrai continuer longtemps : Brom a continué sa carrière dans le jeu de rôle, puis dans le jeu vidéo, travaillant notamment pour Blizzard sur Diablo… Dont il est l’auteur des pochettes cultes ! Brom illustrera également des couvertures de livres : Moorcock, Ann McCaffrey, Terry Brooks… Les grands héros de l’heroic-fantasy sont du pain béni pour cet illustrateur de génie.
Son style unique, reconnaissable entre tous (ce qui reste assez rare dans le monde de l’illustration) est sans doute à l’origine de son succès. Outre son talent et son imagination, Brom puise dans les techniques des grands maîtres de la peinture classique et nous offre des pièces épiques, inquiétantes, dérangeantes et fascinantes.
Une vision sans concession qui lui permettra également de travailler pour l’industrie du cinéma, et une passion pour le storytelling qui l’amènera à écrire ses propres romans, illustrés par ses soins.. On citera Slewfoot, une histoire de sorcellerie dans l'Amérique puritaine du 17e siècle, Lost Gods, sur les créatures d'un sous-monde dément, ou encore Krampus, ou la vengeance de l'esprit de Noël originel sur Santa Claus !
Brom, c’est le storytelling à l’état pur. Une seule de ses illustrations a la force d’une bande annonce de film. Ses personnages posent question et transportent. Personnellement, à chacune de ses pièces, je ne peux m’empêcher de me demander quelle est l’histoire des ses personnages. Quelles sont leurs motivations ? Leur histoire ? Leur univers ? Leur psychée ? Sont-ils bons ? Mauvais ? Comment et pourquoi sont-ils là ? D'où viennent-ils, que font-ils, où vont-ils ? En général, pour un storyteller, quand des spectateurs se posent ce genre de questions, c’est que l’objectif est atteint !!
Les anti-héros de Brom ont tous une part d’ombre évidente : on est loin du cliché du héros parfait et trop musclé. Dans le monde de Brom, les membres sont meurtris, les chairs sont attaquées, les regards sont noirs… Et chacune chaque posture semblent tout droit sorties d’un tableau de la renaissance.
Après avoir travaillé sur World of Warcraft et Hearthstone ces dernières années, on attend avec impatience le fruit du travail de ce génie du fantastique sur le futur Diablo IV, prévu en 2023. En attendant, je ne peux que vous conseiller de vous plonger dans ses livres et de vous jeter sur tous les artbooks que vous pourrez trouver sur ce géant de l’art fantastique !
Les réseaux de Brom
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