Geek-Art + || Clyde Caldwell : Dungeons & Dragons Fever
La Sainte Trinité de Donjons et Dragons #02
Easley, Caldwell, Elmore : la Sainte Trinité de Donjons et Dragons
Dans ces prochains articles Geek-Art +, je vais me faire un véritable plaisir en vous présentant les 3 illustrateurs qui, à mes yeux, ont forgé l’imaginaire collectif de Donjons et Dragons durant l’âge d’or du plus populaire des jeux de rôle, à avoir la période 80-90. Ces illustrateurs m’ont marqué profondément, et je suis plus qu’heureux de les mettre humblement en avant dans ces lignes. C’est donc parti pour le second épisode de cette trilogie consacrée à la Sainte Trinité des illustrateurs de Donjons et Dragons !
Certaines personnes doivent leurs premières véritables rencontres avec l’art à des musées ou des expositions. Des enfants sont ainsi soufflés par leur première rencontre avec une peinture de Boticelli, Rembrandt, Michelangelo ou Monnet. D’aussi longtemps que je me souvienne, l’une de mes premières rencontres avec l’art me vient du livre de règles de Advanced Donjons et Dragons 2ème édition, paru au tout début des années 1990. La couverture de ce livre mettait en avant plusieurs cavaliers galopant à brides abattue, le premier, face au lecteur, l’épée au clair, s'apprêtait forcément à charger un monstre impitoyable, un dragon maléfique ou un troll. Le visage déterminé, les yeux perçants ce héros a marqué mon inconscient à jamais. Il se dégageait de cette peinture un air d’aventure sans commune mesure, on avait l’impression d’entendre, en la regardant, la bande originale d’Indiana Jones ou de Willow. Un véritable appel au courage et à l’aventure.
Je me souviens également parfaitement du nom de l’artiste à l’origine de cette illustration, qui signait toutes ses oeuvres de son nom, une signature quasi-hiéroglyphique aussi mythique que ses oeuvres. Cet artiste, c’est Jeff Easley.
Il fait partie d’une trinité d’artistes qui, à mon sens, avec Larry Elmore et Clyde Caldwell, ont bâti les fondations de l’imaginaire de Donjons et Dragons, au moment où je jouais passionnément à ce jeu, au début des années 90. Bien entendu, ces artistes faisaient partie d’une large équipe d’illustrateurs, tous plus talentueux les uns que les autres. Mais ce sont ces 3 noms qui m’ont le plus marqués personnellement, et ce sont eux dont je souhaitais vous parler dans cette trilogie d’articles… Et après Jeff Easley la semaine dernière, passons à Clyde Caldwell !
Clyde Caldwell est, lui aussi, un illustrateur incontournable de la seconde édition de Advanced Dungeons & Dragons, ou AD&D pour les intimes. C’est également à travers ses dessins, tout comme ceux de Jeff Easley, que j’ai réussi à me transposer dans les mondes fantastiques imaginés par les grands Gygax et Arneson. Souvenez-vous : à l’époque, nous approchons du milieu des années 90, Internet n’est pas encore là, les jeux vidéo en 3D ne sont qu’à leurs débuts, et finalement, le meilleur moyen pour visualiser un monstre dans une aventure, c’est encore d’ouvrir un livre !
Si Jeff Easley avait un style relativement réaliste dans ses compositions (en termes de dynamisme et d’impression de mouvement), Clyde Caldwell avait, quant à lui, un côté très « posé », à la manière des posters de film, et ses character designs me rappelaient, même à mon jeune âge, une esthétique 70s que je n’avais pas connue, mais dont l’empreinte, notamment dans la fantasy, était néanmoins bien reconnaissable.
Clyde. Caldwell est né en 1948 en Caroline du Nord. Comme beaucoup des illustrateurs de sa génération, il raconte qu’il s’est toujours passionné pour la fantasy, et qu’il ne voyait pas quoi faire d’autre comme métier. Ça avait l’air tellement simple, à l’époque ! « J’aime la fantasy et Conan le Barbare, je dessine pas trop mal, allez, go devenir illustrateur de fantasy, je trouverai bien un moyen de gagner ma vie avec ce statut ». J’ironise, mais force est de constater que de nos jours, à l’époque de Patreon et de Artstation, vivre décemment de son art, surtout dans une niche comme celle de la pop culture (qui certes depuis des années ressemble de moins en moins à une niche mais plutôt à un genre majeur de l’entertainment sous toutes ses formes) parait bien difficile. Mais nous en reparlerons !
Clyde Caldwell, donc, depuis sa ville de Gastonia natale, se dit donc qu’il aime la fantasy et qu’il souhaite devenir illustrateur, mais pas après s’être rendu compte qu’il ne se voyait pas faire grand chose d’autre. Un peu guitariste, un peu écrivain, un peu auteur de chanson… Après avoir essayé bien des activités, il décide que le dessin reste celle qui lui semble toute indiquée, et la plus facile. Un vrai saltimbanque, quoi !
Tout comme son estimé futur collègue Jeff Easley, Clyde Caldwell s’intéresse très tôt à la peinture et à l’art fantastique. Il faut dire que nous sommes dans un plein âge d’or de la nouvelle de SF et de fantasy. Caldwell se rappelle d’ailleurs praticulièrement des couvertures des livres d’Edgar Rice Burroughs. Il faut dire que le créateur de Tarzan est également celui de l’un des touts premiers héros de science-fiction : John Carter. Ce personnage est en effet le héros de la saga en 11 volumes du Cycle de Mars, transposé avec plus ou moins de succès au cinéma par Disney il y a quelques années.
Si les parents de Clyde sont relativement heureux que ce dernier choisisse de devenir illustrateur, ils restent perplexes quant à son choix de se spécialiser dans la SF et la fantasy. Pensez-donc, Game of Thrones et le Seigneur des Anneaux sont encore loin d’être devenus des références pop culturelles populaires, et Star Wars n’est pas encore sorti au cinéma. Une carrière dans la peinture de paysages campagnards, voire de natures mortes, semblait à l’époque bien plus appropriée. Mais Clyde s’accroche, reste fidèle à ses conviction de nerd, et obtient sa licence en Beaux Arts à l’université de Charlotte, toujours dans son état natal de Caroline du Nord. Il enchaîne par une maîtrise à l’université de Greesnboro, se disant que, après tout, ses parents avaient peut-être raison. Peindre des dragons et des sorciers n’est peut-être pas une si bonne idée. Et puis, une maîtrise lui permettrait dans l’absolu d’embrasser une carrière d’enseignants... Mais la passion farouche de Clyde pour les cultures de l’imaginaire finit par l’emporter. Il lui suffit en effet, après ses études, d’illustrer quelques fanzines pour balayer toutes ses idées de travail normé et classique d’un revers de main. Pas de nature morte donc, dans le futur professionnel de Clyde. Plutôt une montagne de crânes, avec un dragon perché tout en haut !
Mais même avec la meilleure volonté du monde et la passion chevillée au corps, il faut bien commencer à payer son (premier) loyer. Clyde travaille alors, après ses études, pour un journal local, The Charlotte Observer, puis comme commercial en agence de publicité (comme quoi les Beaux Arts mènent à tout). Ce n’est qu’après ces premières expériences dans le monde du travail que Clyde trouve enfin l’occasion de mettre à profit son talent artistique et son amour de la fantasy. Il réalise en effets une série de couvertures ayant pour thème Barsoom, l’autre nom de Mars dans le cycle de E.R. Burroughs ! On imagine le plaisir de travailler sur la saga littéraire même qui l’a inspiré à devenir illustrateur…
Après Barsoom, enfin, place aux dragons. En illustrant plusieurs couvertures du magazine Dragon, publié bien évidemment par TSR (vous vous souvenez ? L’éditeur de Donjons et… Dragons justement). Le talent de Clyde ne passe pas inaperçu, et très vite TSR lui propose de venir rejoindre les rangs de ses illustrateurs. Mais Clyde Caldwell se méfie du monde du salariat. Il ne fait qu’évoluer en freelance depuis plusieurs années et ce statut lui convient à merveille. Il faudra 3 (oui vous avez bien lu) propositions de TSR pour que Caldwell ne daigne se rendre au siège, dans le Wisconsin, passer un entretien et rencontrer les salariés de l’entité. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui font pencher la balance. Clyde se prend immédiatement d’amitié pour ses futurs collègues, et décide de signer. Il rejoint alors la team d’illustrateurs qui vont visuellement fonder l’univers de donjons et dragons dans la pop culture.
Il commence alors rapidement à enchainer les projets. Après tout TSR est en plein succès commercial, et cherche à se diversifier. Il peint les couvertures des trois premiers romans Greyhawk (un monde complet imaginé pour Donjons et Dragons) en 1985, avant d’illustrer le calendrier Dragonlance de 1986 (un autre monde créé pour Donjons et Dragons, ou setting pour les puristes). C’est le début d’une longue carrière pour Clyde Caldwell, qui restera au sein de la société durant près de douze années.
Durant plus de 10 ans, Caldwell travaillera ainsi sur quasiment toutes les extensions de Donjons et Dragons. Greyhawk et Dragonlance donc, mais également Ravenloft et les Royaumes Oubliés, ainsi que tous les suppléments, livres et romans qu’on peut imaginer. Et, comme beaucoup d’artistes de cette époque, il travaillera plus tard, après le rachat de Donjons et Dragons par Wizzards of the Coast, comme illustrateur sur l’incontournable jeu de carte Magic the Gathering. Depuis plus de 30 ans, Clyde Caldwell est free-lance, et continue à explorer les univers de l’imaginaire avec son pinceau.
Clyde Caldwell fait ainsi partie des illustrateurs incontournables de la saga Donjons et Dragons. Son style graphique transpire littéralement les années 70, et c’est ce qui, selon moi, fait tout son charme, notamment à travers ses tout premiers visuels. On y retrouve un style vestimentaire et capillaire résolument 70s, comme si les héros de D&D sortaient tout droit de la Fièvre du Samedi Soir… Un vrai régal, un mélange de vintage un peu kitsch et de fantasy qui m’a toujours fasciné. Malheureusement, on ne passe pas à côté des personnages féminins stéréotypés tels la pin-up guerrière en bikini de maille ou la sexy princesse en détresse, mais force est de constater qu’au fur et à mesure de la carrière de Clyde Caldwell, ces clichés ont tendance à disparaître… Un peu. Tout ça reste de mon point de vue assez charmant et inoffensif, mais il faut dire que j’ai grandi et mûri depuis mes premiers émois de rôliste, et les choses ont heureusement évolué depuis cette période. Sans doute pas assez, cependant : les représentations féminines stéréotypées de l’époque ont sans doute contribué à ancrer un mysoginisme latent auprès de certains rôlistes et nerds de l’époque, les faisant grandir par la suite avec ces clichés en tête. Le jeu de rôle et la pop culture ne sont en effet, hélas, pas épargnés par le virilisme et le gatekeeping. Un vaste débat, plus que jamais d’actualité, mais les choses bougent tout de même dans le monde du jeu de rôle, et l’inclusivité et la tolérance sont de plus en plus présents dans les productions récentes.
Je vous laisse en compagnie de nombreuses autres illustrations de Clyde Caldwell, dont certaines auront particulièrement marqué mon imaginaire. Et je vous donne rendez-vous très bientôt pour la suite et fin de cette trilogie, avec un autre artiste culte de chez TSR : Larry Elmore !
En attendant, retrouvez Clyde Caldwell sur son site !
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Perso je suis une fille née dans les années 80 et fan de la Fantasy dès mon plus jeune âge et je trouve rarement que les persos féminins de Fantasy sexy sont "sexistes", surtout quand il s'agit de guerrières ou sorcières souvent montrées finalement en positions de pouvoir (monstre vaincu etc). Après tout Conan n'est pas plus habillé :)