NOTE DE L’AUTEUR :
No Man’s Kingdom est une série de textes se situant chacun dans le même monde. Un épisode paraît toutes les deux semaines, illustré par le talentueux Ronan Toulhoat et écrit par votre serviteur, Thomas Olivri. Nous vous conseillons, si vous débutez dans cet univers, de commencer par l’épisode 1 de la saison 1. Pour cela, il vous suffit de cliquer sur “No Man’s Kingdom” dans le menu du haut de la page d’accueil. Chaque épisode se veut une histoire courte complète à lire en quelques minutes durant votre trajet de bus, de tram, en buvant un café. Ces épisodes se répondent ou se complètent, certains personnages ou lieux se retrouvent et se croisent... Le No Man’s Kingdom est un monde en constante évolution. N’hésitez pas à nous faire part de vos commentaires ici ou sur les réseaux et surtout à partager le projet autour de vous ! Bonne lecture !
Thomas Olivri
Razhor regarde autour de lui. La lumière de sa torche illumine son visage balafré, son nez écrasé par de nombreuses rixes de bars, et ses yeux d’un bleu glacial. Sa barbe de quelques jours laisse apparaître quelques reflets poivre et sel, à peine visibles sur sa peau pâle, qui lui donnent l’air d’avoir bien plus que sa quarantaine d’années. A ses mains, des gants de cuir tanné qui, s’ils ne protègent pas parfaitement du froid, lui offrent des prises parfaites pour les futures escalades qu’il devra faire dans les heures à venir. Son torse musculeux est intégralement entouré de bandelettes de cuir bouilli. Là encore, une protection minimale contre le froid, mais une protection efficace contre les armes de poing, et la possibilité de se mouvoir avec une véritable aisance. A sa ceinture, de laquelle pendent de nombreuses poches de cuir contenant un attirail varié (poudre d’escalade, fiole d’explosif, gourde, couteaux, briquet…), une corde soigneusement tressée et serrée, qui maintient une large jupe en cuir fendue au niveau des cuisses. Un vêtement qu’il apprécie particulièrement lors des combats au corps à corps, les mouvements amples de ses jambes faisant virevolter le cuir, déstabilisant ses adversaires tout en lui assurant une souplesse parfaite pour les acrobaties qu’il a l’habitude de pratiquer au combat. Dans son dos, une grande mesure de corde enroulée, mais également un sabre fin au fil tranchant comme une dent de kroak.
La torche de Razhor éclaire également une femme à la peau sombre et aux yeux noirs, dont le corps est presque intégralement caché sous une vaste cape en cuir épais. Seule sa tête semble sortir du vêtement, donnant à son corps une silhouette irréelle, encore plus à la lumière feutrée d’une torche. Ses cheveux regroupés en fines tresses élaborées sont rassemblés en deux chignons parfaits, comme si deux boules de cristal noir étaient posées en équilibre sur sa tête. Elle est penchée sur ce qui reste d’une tombe en pierre, autrefois probablement richement élaborée, au milieu des ruines d’un ancien temple, du temps d’avant l’Armageddon. Autour d’eux, quelques piliers encore debout rongés par l’usure et la mousse, des murs effondrés, un sol carrelé à moitié recouvert par la végétation. Ce qui devait autrefois être une magnifique construction de l’homme dédié au Dieu (1) n’était plus aujourd’hui qu’une ruine ouverte aux quatre vents, à la lisière d’une forêt qui bordait une immense plaine.
“Qu’est- ce que tu fous, Sheza, tu sais que j’aime pas rester en plan comme ça trop longtemps, ça me fout les nerfs en vrac, surtout au milieu de nulle part. N’importe qui pourrait nous observer”, grogne Rhazor en regardant nerveusement autour de lui. “ou n’importe quoi”, ajoute-t-il en pensées.
“Calme toi, je préfère faire les choses correctement. On ne sait pas ce qui nous attend là-dessous”, répond sèchement Sheza en terminant d’inspecter la tombe, qui ressemble à une forme humaine allongée tenant entre ses mains une épée. Elle semble porter une couronne. Mais difficile d’en être certain tant la sculpture a été abîmée par le temps. Le temple semble cependant avoir été épargné par les dégradations volontaires qu’ont subi les autres lieux de culte. Les survivants de l’Armageddon, à l’époque de leur retour à la surface après le Temps des Ombres (2), avaient détruit la plupart des temples encore debout, autant dans des buts de pillage que dans une rage incontrôlée contre une entité qui avait longtemps été présentée comme un sauveur, et qui avait laissé le monde brûler.. Mais ce temple semble faire exception à la règle, sans doute sauvé par son emplacement isolé. Les dégâts qu’il a subi au fil des siècles sont avant tout dûs à une nature qui n’avait pas hésité à reprendre ses droits en l’absence des Hommes. Sheza sourit : elle a un bon pressentiment. “Je crois que cette fois c’est la bonne. Ouvre-moi cette tombe, utilise un peu ces gros muscles.”
Rhazor pose la torche à terre, grogne, et pousse sur le haut du tombeau de toutes ses forces. Le visage grimaçant sous l’effort, il finit par réussir à le faire pivoter. La lourde stèle tombe à terre dans un bruit sourd et se brise sur la mousse verdoyante qui pousse sur le sol, libérant une épaisse poussière blanche qui fait tousser les deux reliquiers. Quand elle retombe, Sheza soupire de soulagement : une ouverture d’un noir de jais s’ouvre sous leurs yeux, plongeant dans les ténèbres. “Je crois bien qu’on a enfin trouvé ce qu’on cherchait, mon grand. Deux mois à chercher ce foutu temple. Si la crypte est autant garnie en reliques qu’on le pense, on est enfin riches !”
Rhazor hausse les sourcils : “Moi je ne crois que ce que je vois. Et pour le moment je ne vois qu’un trou noir, y’a rien qui brille. Mais grouillons-nous de descendre, j’ai vraiment l’impression qu’on nous observe.”
Sheza sourit, révélant des dents blanches parfaites, qui viennent contraster avec sa peau d’un noir de jais. Elle donne une claque sonore dans le dos du géant, qui fait bien 3 têtes de plus qu’elle. “Et moi je te dis que tu te fais des idées, il n’y a aucun être humain à des kilomètres à la ronde, c’est bien pour ça qu’on en a sué à localiser cette ruine. En tout cas ça prouve bien que parfois, il faut se fier aux rumeurs. Allez, au boulot”. Rhazor sourit à son tour, et commence à fouiller son sac à la recherche de matériel.
La jeune femme, de son côté, écarte les pans de sa large cape de cuir pour fouiller dans une de ses poches ventrales. Elle en sort une sphère blanche, qui s’illumine au contact de sa paume. Après quelques pressions de ses doigts sur la sphère, elle la jette dans le puit de noirceur qui s’ouvre devant elle. Elle l’observe éclairer un long boyau vertical en chutant, puis s’arrêter à quelques centimètres d’un sol de pierre une dizaine de mètres plus bas. L’objet céleste se met alors à s’élever de lui-même jusqu’à environ 2 mètres du sol, puis à luire de plus en plus fort, en révélant une vaste salle qui n’a sans doute pas vu la lumière depuis près d’un demi-millénaire.
Sans rien dire, Rhazor attrape la corde attachée dans son dos et l’arrime solidement à l’arceau de fer qu’il vient de planter dans le sol. “On dirait que tu avais vu juste, l’Egyptienne.”
Sheza regarde Rhazor d’un oeil malicieux. “Tu en doutais, mon chat ? Je peux t’assurer que là-dessous se cache une montagne de fric en reliques précieuses. Avec tout ça, on pourra mettre la main sur les armes célestes que tu voulais tant, et se la couler douce pendant un moment.”
Rhazor plisse les yeux. Il n’a pas l’air convaincu par le discours rassurant de sa partenaire. “Tu es sûre qu’il y a rien de méchant là-dessous ?”
Sheza regarde son compagnon et lui caresse la joue de sa main gantée. “Mon oiseau, si ce n’était pas dangereux je ne t’aurais pas amené avec moi… Maintenant descends !” Elle donne une robuste claque sur le postérieur de Rhazor, qui émet un grognement entre plaisir et énervement. Il s’empare de la corde qu’il empoigne fermement avant de poser sa torche à terre et de se jeter dans le puit, dans un geste bien plus gracieux que sa masse n’aurait pu le suggérer.
Sheza regarde autour d’elle avant d’empoigner la corde à son tour et d’éteindre la torche à ses pieds. La nuit est noire comme de l’encre, et c’est à peine si elle distingue les contours des murs en ruine autour d’elle, à présent. Dans le ciel, les étoiles sont particulièrement nombreuses et brillantes, dans un ciel vierge de tout nuage. Il fait encore doux à cette heure, malgré une petite brise qui fait bruisser les feuilles des arbres autour d’elle.
Au moment de disparaître dans le puit à la suite de Rhazor, ses yeux croient déceler un mouvement dans la forêt à quelques dizaines de mètres de là. Mais Sheza met cela sur le compte du vent, et plonge à la suite de son compagnon, dans les ténèbres des ruines de l’Ancien Monde.
ANNEXE
(1) Dieu : concept fragile et approximatif près de trois cent ans après Armageddon. Si, durant ce temps d'ombres et de ténèbres, le bouche à oreille a plus ou moins fait perdurer la religion chrétienne, la découverte des objets célestes et des conséquences de leur chute sur Terre a détourné beaucoup d'hommes et de femmes d'une religion devenue un mystère, presque une légende. La destruction des temples et hauts lieux de culture ayant également, d'une manière radicale, détruit non seulement textes et livres mais également prêtres et théologiens, (qui pour la plupart habitaient dans les grande villes touchées par les chutes de chariots célestes), la religion n'est plus, à ce jour, qu'une rumeur, une culture populaire, adaptée suivant les origines de chacun, plutôt qu'une religion à proprement parler. On parle cependant encore du "Dieu".
(2) Temps des Ombres : période durant laquelle la vie était littéralement invivable pour les humains, qui durent survivre en se terrant sous terre durant la période de tempêtes et de dérèglement climatique ayant suivi l'Armageddon. La durée exacte de cette époque est évidemment inconnue, mais elle semble avoir duré plus d'un siècle.
Merci d’avoir lu cet épisode de No Man’s Kingdom ! S’il vous a plus, n’hésitez pas à laisser des commentaires ici ou sur les réseaux sociaux, et surtout à partager autour de vous. Rendez-vous très bientôt pour une nouvelle plongée dans le No Man’s Kingdom !
TO
Comme toujours du très bon Thomas (et beau - pour Ronan...) mais bien trop court !! ;) Vite la suite...