NOTE DE L’AUTEUR :
No Man’s Kingdom est une série de textes en épisodes se situant chacun dans le même monde. Un épisode paraît chaque semaine, illustré par le talentueux Ronan Toulhoat et écrit par votre serviteur, Thomas Olivri. Nous vous conseillons, si vous débutez dans cet univers, de commencer par l’épisode 1 de la saison 1. Pour cela, il vous suffit de taper “No Man’s Kingdom” dans l’onglet de recherche. Vous aurez alors accès à tous les épisodes, en commençant par le premier. Chaque épisode se veut une histoire courte “one shot”, à lire en quelques minutes durant votre trajet de bus, de tram, dans une file d’attente, en buvant un café… Mais si chaque épisode est un “one shot”, il prend sa place dans le même univers que les autres. Certains personnages ou lieux se retrouvent et se croisent. Le No Man’s Kingdom est un monde en constante évolution. N’hésitez pas à nous faire part de vos commentaires dans la section dédiée. Bonne lecture !
Thomas Olivri
Lorsqu’il sortit de sa grotte et remit le pied dans le Dehors (1) pour la première fois depuis des mois, la lumière du soleil l’éblouit tant qu’il garda les yeux fermés. Momentanément aveugle, une chose le marqua particulièrement.
Le vent.
Le vent sur son visage et dans ses cheveux. Un vent frais, qui ne sentait pas le rance ou l’humidité, mais le parfum des arbres et des fleurs environnantes. Un parfum qui lui fit presque perdre l’équilibre tant il était puissant. L’odeur des conifères, de l’herbe grasse, de l’humus, des fleurs et de la poussière. Des rochers, de la mousse, de l’eau fraîche qui s’écoulait dans le ruisseau proche de lui.
C’était la première fois qu’il quittait les Caves Sombres (2) depuis près de six mois, et le printemps avait eu le temps de repointer le bout de son nez.
Les sons également étaient de la partie. Le piaillement des oiseaux. Le bruit du ruisseau qui cascade à ses pieds. Un pic vert au loin.
Un grognement étouffé.
Il rouvrit lentement les yeux, s’habituant peu à peu à la lumière dorée de l’extérieur. Le soleil était haut dans le ciel, entouré d’immenses nuages grisonnants. A ses pieds, la clairière s’étendait sur une centaine de mètres au milieu de l’immense forêt de pins, parsemée d’imposants blocs de pierres recouverts de mousse. La végétation était abondante. L’herbe était grasse et verte sous ses pieds, et quasi inexistante aux pieds des sapins, desquels étaient tombées des générations entières d’épines de pin.
Derrière lui, le terrain grimpait en pente douce avant de se heurter à l’entrée de la grotte qu’il venait de quitter ainsi qu’au mur vertigineux de la montagne qui la surplombait. Le vent qui venait s’écraser sur la paroi rocheuse s’engouffrait dans son grand poncho de marche, tâché et rapiécé, découvrant la tenue épaisse qui le protégeait du froid à l’intérieur des grottes, et qui contenait son matériel de survie, dispersé dans de nombreuses poches de cuir.
Le grognement reprit, plus près cette fois.
Il humecta ses lèvres sèches, et déplia lentement ses doigts. Ses mains étaient recouvertes de bandelettes de tissu, qui lui assuraient une meilleure prise lors de ses escalades fréquentes. Sa main gauche était couverte d’une vilaine cicatrice, un souvenir de sa première descente dans les Caves Sombres, des années auparavant. Il dirigea sa main droite vers sa ceinture de cuir, à laquelle était attaché un semblant de fourreau duquel il tira une lame courte. Il écarta lentement ses jambes. Les pieds fermement ancrés dans le sol, aux aguets, la lame dans la main, il attendit, immobile, et ferma les yeux. Des années de descentes dans les profondeurs infernales des caves l’avaient habituées à écouter plus qu’à voir.
La créature qui avait poussé le grognement lui sauta dessus depuis l’un des rochers derrière lesquels elle s’était parfaitement cachée. Elle était si rapide qu’il ne put l’éviter qu’au tout dernier moment. Une esquive instinctive, animale, qui l’envoya rouler au sol dans un mouvement peu harmonieux, mais efficace. Il se releva d’un bond, jambes écartées, lame prête, cette fois les yeux grands ouverts . Il s’humecta les lèvres à nouveau.
L’animal qui venait presque de lui ouvrir les entrailles prenait son temps. Il se retourna en grognant. Il l’avait déjà reconnu à son pelage orangé, mais la voir d’aussi près confirma sa première impression. Un grit (3). Un prédateur félin aussi haut qu’un homme. Des griffes longues et acérées. Un pelage roux, et une crinière rouge vif qui partait du haut de son crâne pour courir le long de son dos, jusqu’à une longue queue effilée. Ses babines retroussées laissaient entrevoir des dents pointues et aiguisées. Ses quatre yeux suivaient le moindre mouvement de sa lame.
Il était magnifique.
Merci d’avoir lu ce deuxième épisode ! S’il vous a plus, n’hésitez pas à laisser des commentaires ici ou sur les réseaux sociaux, et surtout à partager autour de vous. Rendez-vous vendredi prochain pour une nouvelle plongée dans le No Man’s Kingdom ! TO
Appendice
(1) Dehors : le Dehors est le nom commun donné aux terres redevenues sauvages des Nouveaux Royaumes. Nous l'appelons, en tant que spectateurs extérieurs, et pour les besoins du titre, le No Man's Kingdom. Depuis l'Armageddon, la terre est devenue si hostile que la plupart des survivants sont restés retranchés dans des abris de fortunes, qui se sont fortifiés au fil des siècles jusqu'à devenir des Cités Franches parfois immenses. Il existe très peu de villes au sens propre en dehors des Cités Franches, à part quelques villages isolés ici et là. La nature et les dangers qui rodent causent souvent la perte de tout voyageur assez fou et inexpérimenté pour s'y aventurer : les monstres et les mutants rodent en permanence, tout comme les bandes de pillards, toujours en quête d'une proie facile. Même la flore est devenue hostile aux hommes, on parle d'ailleurs de forêts mangeuses d'hommes et de plantes étrangleuses ayant quasiment acquis une conscience...
(2) : Caves Sombres : réseau de caves et de grottes formé par les premiers survivants de l'Armageddon pour échapper au Grand Hiver. Certaines tribus vécurent sous terre durant des générations, se nourrissant de champignons et des quelques animaux restants, et buvant l'eau des source souterraines encore pures coulant au coeur des Montagnes Noires (actuelle Alpes). De nombreuses tribus disparurent à tout jamais et ne remirent jamais les pieds à la surface, ou devinrent de terribles cannibales. Certaines cependant prospérèrent avant de revenir peupler la surface des dizaines d'années après le cataclysme. La plupart des femmes et des hommes de ces tribus étaient à moitié aveugles après des années à vivre dans les souterrains, mais avaient appris à développer leurs autres sens. On dit que les grottes et couloirs des Caves Sombres s'étendent sur des kilomètres, et regorgent de mystères et de trésors. Certains aventuriers organisent des expéditions souterraines pour y piller ce qu'ils peuvent, mais peu en reviennent.
(3) Grit : prédateur carnivore, massif et extrêmement dangereux. L'un des résultats des changements sur la faune et la flore opérés par l'Armageddon, qui fit muter les animaux de manière parfois terrifiante au fil des siècles. Il n'y a pas vraiment de grit typique, chaque région ayant son propre "type" de prédateurs. La plupart du temps ils sont une espèce de croisement entre un ours et un tigre ou un lynx, et ont souvent des mutations visibles, comme une troisième paire de patte, des queues épineuses ou encore des paires d'yeux supplémentaires.
CRÉDITS
Auteur - Créateur : Thomas Olivri
Illustrateur : Ronan Toulhoat
Graphiste No Man’s Kingdom : François Grenier