NOTE DE L’AUTEUR :
No Man’s Kingdom est une série de textes se situant chacun dans le même monde. Un épisode paraît chaque semaine, illustré par le talentueux Ronan Toulhoat et écrit par votre serviteur, Thomas Olivri. Nous vous conseillons, si vous débutez dans cet univers, de commencer par l’épisode 1 de la saison 1. Pour cela, il vous suffit de cliquer sur “No Man’s Kingdom” dans le menu du haut de la page d’accueil. Vous aurez alors accès à tous les épisodes parus. Chaque épisode se veut une histoire courte complète, un “one shot”, à lire en quelques minutes durant votre trajet de bus, de tram, en buvant un café… Ces épisodes se répondent ou se complètent, certains personnages ou lieux se retrouvent et se croisent... Le No Man’s Kingdom est un monde en constante évolution. N’hésitez pas à nous faire part de vos commentaires ici ou sur les réseaux et surtout à partager le projet autour de vous ! Bonne lecture !
Thomas Olivri
Le chariot céleste de Sohba roulait à pleine vitesse.
Agrippé à une rampe fixée sur un côté du véhicule, il sentait le vent fouetter son visage, à peine protégé par un masque de cuir et des monocles de verre. La poussière, la vitesse et son équipement l’empêchaient d’avoir une vision totale de la scène, mais il la devinait parfaitement. Lui et cinq de ses frères se tenaient agrippés d’une main aux poignées qui couraient autour du chariot, les pieds vissés sur des grilles métalliques. Dans leur main libre, la plupart tenaient une longue lance effilée. Chacun portait le même masque de cuir sur le visage. Une façon de se protéger de la poussière, mais également d’affirmer son statut et son rang.
Comme le voulait la coutume de la tribu, chacun avait grimé son masque avant de partir au combat. Certains avaient dessiné un sourire grimaçant, d’autres des dents effilées, d’autres encore un œil unique, ou un visage quasi humain. Une façon d’effrayer leurs adversaires, et de mettre en avant leur statut dans la hiérarchie. Plus le masque était ornementé, plus le dessin était précis et coloré, plus le guerrier avait d’expérience. Sohba n’avait pour le moment qu’un simple sourire garni de crocs dessiné sur le sien. Ce n’était pas le cas de ses frères, dont les masques étaient bien plus réalistes et effrayants. La plupart avait participé à plus de raids, tué plus d'ennemis, accompli plus d’exploits. Mais Sohba savait que son heure viendrait.
En attendant, il savourait l’instant. Le vent dans ses cheveux, la lance dans sa main. Ses vêtements de raid consistaient en des bandes de cuir enroulées autour de son corps, lui fournissant ainsi une protection a minima mais surtout une grande liberté de mouvements. Il portait une ceinture à laquelle étaient fixées des poches de tissus contenant son matériel de survie et des armes de secours. Le fracas des combats, leur rapidité, leur violence… Il n’était pas rare que, durant un raid, certains membres des Khans tombés de leur monture, qu’elle soit animale ou mécanique, se retrouvent seuls et coupés du reste de la tribu. Mais la guerre éclair des guerriers des steppes ne souffrait pas de retour en arrière. Les survivants tombés durant un raid devaient réussir à retrouver la tribu par leurs propres moyens. Ceux qui réussissaient, parfois après plusieurs jours de marche, étaient réintégrés dans le clan sans un mot. Les autres… Leurs corps appartenaient à la steppe et aux vents.
Mais aujourd’hui, Sohba de la Tribu des Herbes Hautes comptait bien rentrer au campement en compagnie de ses frères et soeurs afin de raconter ses exploits, de ramener des richesses et du matériel, et de créer la légende de ce jour historique durant lequel les tribus unifiées attaquèrent enfin le Grand Convoi (1). En attendant… Il fallait s’accrocher. Misahn, la conductrice du chariot, n’était pas réputée pour la finesse de sa conduite. Sohba plia ses jambes pour détendre ses muscles. Ce faisant, sa main et sa lance touchaient presque le sol, qui défilait à vive allure. “C’est un beau jour pour s’envoler”, pensa-t-il.
Se remettant debout, Sohba jeta un œil au véhicule. Son chariot, propulsé par un artefact céleste, pouvait rouler sans discontinuer des jours durant. Et il pouvait aller vite. Très vite. Il arrivait que certains néophytes de la tribu ne réussissent pas à tenir suffisamment longtemps sur des chariots célestes lors de longues chasses. Certains avaient déjà trouvé la mort en tombant, terrassés par la fatigue, écrasés par les roues du véhicule, ou brisés par une chute violente sur des routes souvent très accidentées. L’agilité et l’adresse de Sohba l’avaient toujours aidé à se mouvoir avec aisance sur le chariot, ce qui lui avait valu une place de choix pour ce raid, au milieu des meilleurs guerriers et guerrières de la tribu.
Tous regardaient la machine avec dévotion. Les guerriers des steppes vouaient un culte quasi religieux à leurs moyens de transport, qu’il s’agisse de chevaux ou de chariots. Celui sur lequel il se tenait était la fierté de sa tribu. Il était recouvert de peintures de guerres multicolores, destinées à porter chance et à rappeler les origines du clan. Sa proue pointue, derrière laquelle se trouvait Misahn, rappelait le bec d’un oiseau de proie. Le chariot avait un aspect glorieux et terrible, aussi bien destiné à galvaniser les occupants qu’à terrifier leurs ennemis.
Car si ses meilleures armes étaient sans aucun doute les 6 guerriers accrochés à ses rambardes, le chariot n’était pas sans défense. Deux arbalètes célestes étaient fixées à l’avant de la machine, contrôlées par le conducteur. Le teknos (2) de la tribu, expert en manipulation d’objets célestes, avait construit avec les forgerons et les artisans du clan cette merveille de technologie. Sous la coque de ce chariot, volé des années plus tôt à un Marché Roulant, un objet venu des cieux alimentait une turbine qui faisait rouler les roues à vive allure, elles-même protégées par un alliage divin. Le teknos avait entièrement modifié le chariot, pour en faire non plus un engin de transport mais un véhicule d’attaque rapide. Ce type de chariot était peu répandu parmi les tribus de l’Est, mais la tribu des Herbes Hautes en possédait deux, ce qui faisait d’elle l’une des plus puissantes de la région. Et Sohba avait gagné l’honneur d’aller au combat sur l’une de ces merveilles divines, qui pouvaient rouler durant des heures à la vitesse d’un cheval au galop.
Autour de lui, les autres membres et équipages du raid se déployaient en masse. Des dizaines de guerriers de la tribu montés sur des chevaux rapides ainsi que de nombreux chariots traditionnels roulaient aux côtés de Sohba et de ses frères et soeurs. Chariots comme chevaux étaient protégés par des carapaces de métal céleste, légers et robustes, et décorés à la manière du chariot de Sohba par des peintures bariolées et des sculptures animales. Quasiment toute la tribu était partie au combat, aux côtés de tous les autres clans qu’avait réussi à rallier le grand Khan. Quelle vision glorieuse !
Autour de Sohba, d’autres véhicules accompagnaient les chevaux et les chariots de guerre. Ceux-là, clairement, étaient dédiés aux membres les plus dangereux de la tribu. Les guerriers les plus aguerris, les plus expérimentés, les plus brutaux. Ils chevauchaient des chevaux célestes. Des appareils conçus autour du même système que les chariots classiques, mais beaucoup plus fins et rapides. Les guerriers se déplaçaient sur des espèces de boucliers, qui flottaient au-dessus du sol à vive allure. Les pieds maintenus par de solides sangles, ils utilisaient leur corps pour faire changer de direction leur engin. Ils étaient les seuls de la tribu à porter une armure céleste complète, et leurs armes étaient les plus mortelles de la tribu. Arbalètes célestes de poing, lances, épées, le tout forgé par les meilleurs bosseleurs (3) de la tribu. Le cœur de Sohba gonfla. Partir au combat au milieu de ses frères et de ses sœurs, sur de si belles machines de guerre, était un honneur sans précédent pour lui, après des années passées à attendre son heure, missions de reconnaissance après missions de reconnaissance.
Ses yeux regardèrent l’horizon : une colonne de poussière indiquait la présence d’un convoi au loin. Une proie dont sa tribu ne ferait, il n’y avait aucun doute, qu’une bouchée. Il hurla au ciel sa fierté et sa rage de guerrier, bientôt rejoint par tous les membres de sa tribu.
ANNEXE
(1) Grand Convoi : nom que les habitants des steppes donnent à la Caravane du Vent.
(2) Teknos : nom donné par les tribus de l'Est aux rares savants ayant réussi à manipuler les objets célestes.
(3) Bosselleur : terme familier désignant un forgeron ayant réussi à mixer technologie céleste et forge traditionnelle dans son travail.
Merci d’avoir lu cet épisode de No Man’s Kingdom ! S’il vous a plus, n’hésitez pas à laisser des commentaires ici ou sur les réseaux sociaux, et surtout à partager autour de vous. Rendez-vous très bientôt pour une nouvelle plongée dans le No Man’s Kingdom ! TO